Baie du Tombeau : une escale marquante pour Jeux de Regards
- Sidina
- 9 févr. 2024
- 5 min de lecture
En ce premier samedi du mois de décembre 2023, du gris s’annonce à l’horizon. Les nuages recouvrent le ciel et une brise toute fraîche souffle sur l’île. Aujourd’hui, le temps est une véritable bénédiction en cette période de forte chaleur.

Charlène, Françoise et Sœur Nicole ont accompagné le groupe d'enfants depuis 6 ans, Le Couvent du Bon Pasteur, Baie du Tombeau.
Sur le trajet pour Baie du Tombeau, une petite pluie fine s’invite à la partie. Avec elle, se mettent également à pleuvoir les magnifiques souvenirs de ma première visite à la Cure de l’église Bon Pasteur en 2020. J’avais témoigné du travail que Jeux de Regards avait commencé avec les enfants du quartier. (À voir l’article « Jeux de Regards : La ‘petite école’ de vacances aux valeurs universelles à Baie du Tombeau. https://www.sidina.org/post/jeux-de-regards-la-petite-école-de-vacances-aux-valeurs-universelles-baie-du-tombeau )
Rien que l’idée d’y être de nouveau me réjouit. En approchant de ma destination, le parfum de l’eau salée et l’odeur du poisson me chatouillent les narines et m'offrent un beau dépaysement en ce samedi pluvieux.
Une fois sur les lieux, la petite église, entièrement rénovée, attire d’emblée mon attention. Son extraordinaire vitrail, représentant le Christ, accueille le passant. De l’autre côté de la route, je vois la petite salle de fortune qui nous accueille aujourd’hui, le temps d’un évènement pour marquer la fin du programme de Jeux de Regards, qui a jeté son ancre en 2017 dans la Baie. D’ailleurs, les parents, les familles, les enfants et les invités ont bravé le mauvais temps pour être présents à cette rencontre.
Un cheminement en couleurs est présenté avec émotions par Françoise, durant son discours d’accueil. Elle met l’accent sur les débuts chaotiques du programme dans le quartier, et son évolution à travers le temps. Elle salue la persévérance de tout un chacun, et remercie de nouveau Karine, la créatrice de Jeux de Regards, Charlène, l’intervenante du programme, Sœur Nicole, les parents, les familles et les nombreux volontaires qui ont permis, d’une façon ou d’une autre, que ce programme vive pendant six années. Les enfants, les parents, les familles sont attentifs dans la salle.
Charlène poursuit en mettant l’accent sur le progrès des apprenants. Elle se remémore ses premiers ateliers, où les enfants se cachaient sous la table. Elle raconte comment ces derniers ont apprécié venir participer à ces ateliers conçus pour eux. Pendant 6 ans, les enfants sont venus, avec assiduité, malgré la situation compliquée liée à la COVID. Le groupe s’est constitué petit à petit et les enfants se retrouvaient pour apprendre et créer ensemble.
Au fil des ateliers, ils ont gagné en maturité et en confiance en soi, et ont développé l’engouement de lire et d’écrire à travers l’utilisation de la photographie. Le projet Jeux de Regards leur a insufflé un nouvel air de créativité et de liberté d’expression qui leur a permis de faire leur chemin dans l’apprentissage du français. C’est un projet qui les a rassemblés et les a unis à la Baie.

La famille Kong Chee Ting accompagne le groupe d'enfants : Charlène au chant, Jemina aux percussions, Jeffrey à la guitare et Jason à la trompette.
Charlène reprend ensuite les chansons du Grand Livre rouge, accompagnée des enfants. C’est un beau reflet du travail accompli ensemble durant ces dernières années. Les livres avec le lien YouTube des chansons sont ensuite remis aux enfants, comme ce fut le cas à Caritas Barkly, en début d’année.

Leila, une maman ‘courage’, témoigne de la vie de ses filles :
« Mo bien kontan mo bann tifi finn swiv sa program-la. Menia ti ena 6 an ek Amenia 5 an kan zot finn koumanse. Zordi zot ena 11 ek 10 ans. Amenia ena enn problem lizie. Malgre sa, zot finn bien avanse depi zot ladan. Avan, mo ti pe gagn boukou repros dan lekol lor zot travay et zot konportman. Zot ti ena boukou retar. Depi ki zot finn fer Jeux de Regards, mo gagn kompliman lor zot dan lekol. A sak fwa, zot fer program-la pandan vakans, zot progrese, lerla kan zot repran lekol, bann profeser fer remark ki zot finn avanse pandan vakans. Mo bien fier ek mo sagrin ki program-la finn fini. Mo ti pou kontan si mo ti-garson ti kapav benefisie sa li osi. Mo'nn konn boukou difikilte dan mo lavi resaman, me sa program-la finn vinn kouma enn benediksion pou nou fami. »

Les paroles de Leila, traduites en français :
« Je suis très contente que mes filles aient suivi ce programme. Menia avait 6 ans et Amenia 5 ans lorsqu’elles l’ont commencé. Aujourd’hui, elles ont respectivement 11 et 10 ans. Amenia souffre d’une malformation de l’œil. Malgré cela, elles ont toutes les deux énormément progressé depuis qu’elles suivent le programme. Auparavant, je recevais des tas de reproches de leur école, concernant leur travail et leur comportement. Elles avaient beaucoup de retard dans leur apprentissage. Depuis qu’elles ont fait le programme Jeux de Regards, je reçois dorénavant des compliments de l’école. À chaque fois qu’elles faisaient le programme durant les vacances, elles progressaient. Lorsqu’elles reprenaient l’école, leurs enseignants remarquaient leur progrès. Je suis très fière mais en même temps triste que le programme se termine. J’aurais aimé que mon fils en bénéficie également. J’ai rencontré beaucoup de difficultés dans la vie récemment, mais ce programme a été une bénédiction pour notre famille. »

En phase avec cette charge d’émotions et de reconnaissance, la pluie augmente également son intensité. Bien que ce soit bruyant sur la tôle au-dessus de nos têtes, les mots de cette maman raisonnent dans nos oreilles et dans nos cœurs.
Les enfants prennent la parole. Ils nous partagent en toute simplicité et humilité leur appréciation du programme. C’est également l’occasion pour eux de mettre en pratique ce que Jeux de Regards leur a apporté : la lecture, l’expression orale, le respect et la confiance en soi ; d’excellentes bases pour le citoyen de demain.
Tous les enfants se raccordent à dire qu’ils sont heureux d’avoir appris à lire et à écrire en jouant, et expriment leur tristesse d’arrêter le programme. Ils disent avoir aimé y retrouver leurs amis.
Chaque enfant exprime aussi quelque chose de singulier (pour respecter l’anonymat des enfants, des noms fictifs sont utilisés. Leurs propos ont été recueillis et retranscrits en français.)
Devi : « L’ambiance de la classe me fait du bien. J’adore faire de la peinture qui m’aide à m’exprimer. »
Martine : « Ici on peut faire les choses comme on veut tout en respectant les règles de la classe. Mon plus beau souvenir, c’est quand on recevait les lettres de nos correspondants. »
Matthieu : « J’aime faire de la peinture car je peux m’exprimer sans parler. »
Anna : « J’ai progressé en français et je suis motivée à apprendre la langue. J’ai adoré travailler sur les albums. J’ai une attention individuelle. Mon plus beau souvenir, c’est le premier jour : lorsque je suis venue à l’école ici et que j’ai rencontré tout le monde. »
Sarah : « J’adore apprendre le français et parler la langue malgré que je sois timide. Le jour où j’ai appris à lire j’étais fière de moi. Mon plus beau souvenir, c’est quand j’ai fait de la peinture dans la classe, pour la première fois. »
Rose : « J’adore la peinture ‘fouettée’. Mon plus beau souvenir, c’est quand on a travaillé sur les émotions et qu’on a fabriqué notre petit ‘coussin’ en forme de cœur. »
La journée se termine, sur une note de convivialité, avec une petite collation organisée par Françoise. Une ambiance paisible clôt en douceur cet atelier de Jeux de Regards qui a laissé son empreinte à Baie du Tombeau. Les pluies diluviennes offrent une nouvelle page blanche à la barque du projet pédagogique qui continue de voguer sur les vagues de son histoire à travers l’île Maurice.
Krystel Joseph Duval



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